Critique – « Argo » de Ben Affleck (09/11/2012)

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4 ans après son premier film » Gone baby gone » qu’il avait accessoirement présenté en avant-première au Festival du Cinéma Américain de Deauville, et deux ans après « The Town », Ben Affleck revient dernière la caméra avec « Argo ». Après avoir exploré les bas-fonds,  voire les tréfonds obscurs et secrets de Boston, il nous embarque cette fois en Iran, en 1979.

Le 4 novembre 1979, en pleine révolution iranienne, des militants envahissent l’ambassade américaine de Téhéran prenant 52 Américains en otage. Au milieu de ce chaos, six Américains réussissent à s’échapper et à se réfugier au domicile de l’ambassadeur canadien. Sachant qu’ils finiront par être découverts et fort probablement tués, un spécialiste de "l’exfiltration" de la CIA du nom de Tony Mendez (Ben Affleck himself)  monte un plan risqué, totalement abracadabrantesque visant à les faire sortir du pays. Un plan tellement incroyable que, s’il n’était inspiré d’une histoire vraie, seuls Hollywood et le cinéma auraient pu l’inventer: faire passer les six américains à exfiltrer pour l'équipe de tournage d'un film, "Argo".

Ayant particulièrement apprécié les deux premiers films de Ben Affleck cinéaste, j’en attendais beaucoup de ce troisième long-métrage par ailleurs encensé par la critique, et c’est pourtant à mon avis le moins bon des trois, ou en tout cas le plus convenu qui présente les écueils qu’il avait magistralement évités dans ses précédents films : le manichéisme et les facilités scénaristiques.

Cela commence par un mélange certes habile d’images d’archives et d’images de fiction, une exposition claire mais assez longue pour nous rappeler les circonstances historiques. Puis, Ben Affleck abuse des montages parallèles pour nous faire comprendre de manière appuyée le parallèle entre Hollywood qu’il ne se prive pas d’égratigner (de manière assez drôle, c’est vrai) et la mise en scène de la prise d’otages par ses « acteurs ». Dans les deux cas, il s’agit d’une réalité scénarisée comme le souligne et surligne le montage au cas où nous ne l’aurions pas compris. A partir de ce moment, nous n’attendons plus qu’une chose : l’exfiltration à l’aéroport, le paroxysme, le climax. La scène tant attendue est certes haletante et prenante mais ne nous épargne rien des clichés du genre ( ticket validé à la dernière minute…).

Lorsqu’il s’agit de courses poursuites ou de susciter le sentiment d’urgence, l’adrénaline, le danger, la maîtrise du réalisateur est flagrante, comme dans « The Town » et la est tension palpable.  Dommage qu’on n’y retrouve pas cette même étanchéité entre le bien et le mal, le crime et l’innocence, et cet aspect sociologique passionnant que dans « Gone baby gone »  et « The Town »  qui leur apportaient leur intérêt et originalité.

Si la réalisation est totalement maîtrisée, c’est d’ailleurs avant tout le montage et le découpage qui insufflent au film son rythme trépidant même si Ben Affleck recourt, comme dans ses précédents films, à la caméra qui enserre et encercle les visages pour nous faire comprendre l’enfermement, l’étau qui se resserre, la tension.

« Argo » a tout de la caricature du film d’espionnage américain : le slogan qui claque (le film était faux la mission bien réelle), le héros mélancolique qui  s’oppose à la hiérarchie et en proie à ses démons personnels (le summum est atteint avec le dessin pour le petit garçon, scène encore une fois téléphonée sans oublier le dialogue entre le producteur et l’agent de la CIA sur leurs enfants), la musique (signée Alexandre Desplat) pour accentuer le suspense, et évidemment et surtout pour nous montrer à quel point ces gens de la CIA et d’Hollywood sont virils et n’ont pas leur langue dans leur poche un langage châtié avec « le censé être irrésistible » « Argofuckyourself ! » ou encore cette réplique parmi d’autres qui fait se retourner Prévert dans sa tombe : : «  Le public visé détestera. Quel public ?Celui avec des yeux ! ».

Tout était là pour faire de ce scénario réel et improbable un vrai, un grand et beau film d’espionnage politique, malheureusement son manque criant de sobriété et de subtilité en font un  divertissement captivant (mais on peut captiver avec des ficelles plus ou moins faciles) au-dessus de la mêlée certes mais sans grande originalité et à la gloire de la bannière étoilée (étonnant qu’elle ne flotte pas insolemment et fièrement à la fin du film). Cela m’aura néanmoins permis de découvrir cette histoire rocambolesque (déclassifiée par Bill Clinton et rendue publique en 1997) qui présente des résonances intéressantes avec la situation politique actuelle (le film a d’ailleurs été tourné en Turquie). Mais si, comme moi, vous aimez les films d’espionnage des années 1970, revoyez plutôt « Les 3 jours du Condor » et non celui qui essaie de les singer… ou allez voir « Skyfall ».

 

10:06 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (2) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | | Pin it! | |