Critique de « Socialisme » de Jean-Luc Godard (Sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2010) (18/05/2010)

socialisme0.jpg

Hier  l'événement c'était  la projection de « Socialisme » de Jean-Luc Godard, en sélection Un Certain Regard. 50 ans après « A bout de souffle », 42 ans après avoir sabordé le festival (en mai 1968), Godard reste un cinéaste incontournable à la modernité et l'inventivité peu égalées.

 A près de 80 ans le cinéaste n'a finalement pas fait le déplacement précisant  : "suite à des problèmes grecs, je ne pourrai être votre obligé à Cannes. Amicalement, Jean-Luc Godard.", la Grèce d'ailleurs très présente dans ce nouveau long-métrage, une symphonie divisée en trois temps, trois mouvements : « Des choses comme ça », « Notre Europe », « Nos humanités ».

La première partie se déroule en Méditerranée sur un paquebot sur lequel se croisent de multiples langues et de multiples conversations entre des passagers presque tous en vacances parmi lesquels : un vieil homme ancien criminel de guerre, un philosophe français (Alain Badiou), une chanteuse américaine (Patti Smith), un ambassadeur de Palestine, un ancien agent double... Dans la deuxième partie qui se déroule dans un garage, deux enfants demandent des explications sérieuses à leurs parents sur les thèmes de liberté, égalité et fraternité. Enfin, dans la dernière partie intitulée « nos humanités », c'est la visite de six lieux de vraies/fausses légendes : Egypte, Palestine, Odessa, Hellas, Naples et Barcelone.

Définition du socialisme : « Le socialisme est un type d'organisation sociale basé sur la propriété collective (ou propriété sociale) des moyens de production opposition au capitalisme. Le mouvement socialiste recherche une justice sociale, condamne les inégalités sociales et l'exploitation de l'homme par l'homme, défend le progrès social, et prône l'avènement d'une société égalitaire, sans classes sociales. »

Intituler un film socialisme, quel ambitieux projet donc ! Un mot malmené, galvaudé, parfois souillé par l'Histoire. Dans la première partie sur le paquebot de croisière tantôt fascinante et effrayante, avec certaines images d'une beauté à couper le souffle, Godard nous montre une société de l'uniformisation  qui aliène plus qu'elle rend libre, qui rend esclave plus que maître de ses mouvements et pensées, indifférente aux autres et à leurs différences plus que solidaire et fraternelle. Bref, l'anti « liberté, égalité, fraternité ». Un mélancolique constat.

 Les destinations desservies par le bateau seront celles évoquées dans la troisième partie : Barcelone, Naples, Odessa, la Palestine, l'Égypte, Hellas (la Grèce). Symboles à la fois de tragédies ou de richesses de l'humanité, symboles aussi de l'éternel et parfois triste recommencement de l'Histoire.

Dans la deuxième partie, plus linéaire, c'est  l'histoire de la « famille Martin », la plus narrative. Le père et la mère  veulent se présenter aux élections cantonales tandis qu'une équipe de télévision se trouve à leurs côtés et pendant que leurs enfants  exigent d'être reconnus comme citoyen et dont le programme est.  : « Avoir vingt ans. Avoir raison. Garder de l'espoir. Avoir raison quand votre gouvernement a tort. Apprendre à voir avant que d'apprendre à lire. ».

Comme toutes les œuvres de Godard (et a fortiori celle-ci) « Socialisme » pourra vous agacer ou vous ensorceler, peut-être alternativement les deux comme ce fut mon cas, en tout cas difficilement vous laisser indifférents. Et surtout à une époque où on nous sert de plus en plus des films comme des produits de consommation tout cuits dans lesquels la moindre réflexion est bannie, un film tel que celui-ci est une véritable jubilation. En ressort un vrai sentiment de liberté et de respect pour le spectateur à qui il revient de construire la « construction déconstruite » de Godard et de se faire sa propre interprétation dans ce magma d'images, de sons et de mots. Un magma dense et complexe parfois perturbant, parfois fascinant parsemé de petites touches de rouge pour rappeler que subsistent des parcelles de socialisme éparpillées.

Beaucoup plus proche de ses « Histoires de cinéma » que d' « A bout de souffle » ou du « Mépris » « Socialisme » est un poème  désenchanté , lucide, parfois caustique, sur les illusions perdues personnelles ou politiques, un voyage dans notre Histoire et nos humanités, notre passé et notre présent avec des images d'une beauté troublante ou d'une âpreté déconcertante, parfois même drôles et surtout un film d'un grand auteur qui signe encore et toujours un cinéma irrévérencieux, singulier et inclassable d'une étonnante modernité qui nous apprend ou du moins nous incite «  à voir » et à « garder espoir », malgré tout.

(Une critique évidemment trop courte et un simple résumé, faute de temps, pour ce film sin riche sur lequel je reviendrai donc)

Réactions dans la salle (projection du matin en salle Debussy) :  Timides applaudissements (peu révélateurs néanmoins en l'absence du cinéaste).

11:26 Écrit par Sandra Mézière | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer | | Pin it! | |